dimanche, juillet 16, 2006

André Malraux





Figure très complexe, qui avant d’être compris comme romancier doit être compris comme homme de culture.

Dans la création malrucienne le roman est subordonné à la préoccupation constante de l’écrivain: l’art vu comme problématique.

En rapprochant les deux civilisations, occidentale et orientale, il pose le fondement d’une étude comparée de deux cultures et de deux civilisations qui deviendra une constante de ses réflexions sur l’art et de sa création romanesque.

Il est attiré par la découverte de l’homme comme conscience engagée dans sa destinée.

Il cherche le sens de la vie et exalte toutes les possibilités humaines de dépasser les limites d’une condition humiliante et absurde.

Après la parution des Noyers de l’Altenburg, l’écrivain se dédie entièrement à la publication des essais concernant les problèmes de l’art et de la culture. Il ne s’agit là ni d’un retour, ni d’un abandon, mais de l’évolution naturelle de sa pensée créatrice.

Malraux est l’homme de son siècle, le grand penseur d’une civilisation où les notions d’homme et de création sont inséparables. Il comprend le sens de la crise de son monde contemporain en trouvant un remède dans l’art.

Ses réflexions sur la condition humaine lui ont permis de considérer l’art comme la raison d’être de l’homme, comme l’antidote contre le mal de notre monde contemporain qui est, selon lui, la mort de l’homme produite par la perte de son espoir dans l’avenir.

Dans la Tentation de l’Occident (1923), Malraux met en évidence la différence essentielle entre les deux mondes: l’Occident avec son individualism – l’homme n’est préoccupé que par son propre destin – et l’Orient avec son aspiration à l’universel. Il révèle la crise de la séparation de l’homme occidental condamné à une dualité irréconciliable.

Un premier aspect de la dualité tragique de l’Occidental est l’individualisme face au totalitarisme.

A la différence de l’Oriental qui n’a pas délimité son moi, pour l’homme occidental le moi est une entité qui se définit par rapport à tout ce qui n’est pas lui. Il vit ainsi une crise de la séparation. Sa pensée est séparée de l’univers, il mène dans un monde séparé du cosmos une existence individuelle gouvernée par la passion.

Malraux reconnait le drame actuel de l’Europe dans la mort de l’homme. Cela prouve l’absurdité de l’existence humaine car l’homme seul, sans Dieu et sans espoir, reste pourtant le centre du monde. L’individualisme est le mal de notre siècle dont est atteint l’homme occidental qui ne peut pourtant vivre dans le désordre de la séparation.

Malraux remarque l’opposition qui existe entre nos actes et notre vie profonde.
Le moi se présente comme une série d’éléments épars qui augmentent l’inquiétude de l’être et lui font comprendre l’absurdité de ses actes par les effets renversés de ceux-ci: incapable de saisir son unité, l’être la décompose encore plus au dedans de lui-même. La crise de la dualité reste irréconciliable: l’homme centre du monde, individualiste par excellence, se voit nier par le cosmos et l’histoire, refuser à toute totalité y compris celle de son moi, car au fond de lui-même, au lieu de se fonder comme unité, il ne trouve que les formes de sa propre dissolution, par la perte de la conscience de soi.

Malraux envisage l’expérience de l’étrangeté: le monde sur lequel l’homme règne lui devient de jour en jour plus étranger à cause de la multitude d’images qu’il lui offre.

Si l’homme est incapable de saisir une réalité, si l’univers se développe indépendamment de lui, apparaît l’idée que le monde est là, d’une présence insolite et hostile, que la relation possible entre le moi et ce monde est une absence de relation, la vie est absurde par cette absence même et elle devient d’autant plus tragique que l’homme doit porter seul le fardeau de sa solitude. La communication avec l’autre est impossible car les êtres sont séparés par des existences individuelles.

Il reste à l’homme l’expérience de la lucidité opposée à la sensibilité. C’est le drame de la lucidité: l’homme doit penser pour avoir la conscience de sa condition mais en pensant il découvre son néant et l’impossibilité d’y échapper.

L’écart entre la lucidité et la sensibilité est chez l’homme occidental une source indubitable de crise existentielle alors que l’homme oriental ne peut pas les séparer.

Dans le monde occidental, l’aspiration à l’unité s’avère impossible car être sensible dans un monde par rapport auquel on est un étranger est aussi absurde que le désir de vaincre la séparation et de communiquer avec l’autre.

Comme l’art est l’expression de la sensibilité mais aussi de la lucidité, la conquête de l’unité ne deviendrait possible qu’au niveau de l’art.

Selon Malraux, toute l’existence humaine n’est qu’un balancement entre la dignité et l’humiliation qui constitue l’aspect le plus tragique de la crise de la dualité. La condition humaine est une lutte entre l’absurdité de l’existence et les efforts de l’homme pour la dépasser, un combat pour l’affirmation de la dignité. L’homme est humilié sans cesse dans sa propre condition, mais il refuse l’humiliation.

L’œuvre romanesque malrucienne est marquée par la crise de la dualité mais grâce aux idées sur l’art dont elle est parsemée elle offre aussi la solution pour l’accès à l’unité de l’être.

Dans la conception de Malraux, chaque œuvre romanesque doit être un modèle achevé du genre pour être un moyen d’exprimer l’essence de l’art.

Pour lui, le roman ne pouvait se constituer qu’autour de la problématique que lui définissait l’homme.

Pourquoi Malraux a-t-il choisi le roman pour exprimer ses idées? Parce que le roman est le genre qui peut envisager les problèmes de l’art étroitement liés à l’homme et à ses passions. Le genre romanesque a la qualité de ne pas être une photographie idéale ou fidèle de l’époque, mais l’imaginaire de l’écriture, une forme qui se sert de l’illusion-de-réalité comme forme privilégiée.

Le roman est une expression artistique qui ne doit pas envisager le monde comme forme fixe, mais comme changement indéfini de formes.

C’est un genre dans lequel on doit reconnaître l’absence de finalité et interpréter le devenir des formes comme combinaison du hasard.

Le roman a la chance de survivre s’il s’offre dans un double temps, celui de l’auteur et le nôtre et à la différence des autres formes d’art et de littérature il se réclame de la vie plus que tout autre genre.

Le roman malrucien est le roman de la condition humaine envisagée comme condition tragique, comme expression privilégiée de la connaissance du destin.

Thème du roman: l’action.

L’action n’est pas un prétexte pour la méditation sur l’homme, elle ne précède pas la pensée de même qu’elle n’en est pas la conséquence, elle est réellement « un mode » de la pensée.

La forme d’action qui répond au besoin de l’homme de s’engager en vue de donner un sens à sa vie et de réaliser la communication avec ses semblables a été offerte par le mythe politique de l’Internationale.

Le communisme a été un moyen de comprendre l’homme.

Le mythe de l’Internationale répond à son rêve formulé plus tard, d’internationalisation de la culture, concept par lequel il comprend une culture sans frontière, constituant l’espoir perdu de l’homme, la reprise de sa dignité par le droit du choix et par l’engagement dans l’action, terrain propice de l’éternelle oscillation humaine entre l’humiliation et l’affirmation de la dignité.

L’action révèle la contradiction de la nature humaine, la part destructive et la part constructive qui existent à tour de rôle en chacun de nous à différents degrés.
L’action est la meilleure forme d’affirmation de la lucidité: si pour l’homme Dieu est mort, si l’homme meurt aussi avec la perte de son espoir, il n’est plus rien et en même temps il est tout.

Agir est un acte de volonté qui représente un défi à la mort et à tout obstacle, c’est une victoire sur l’absurde, le dépassement d’une phase de contemplation, un antidote contre la pensée tragique du destin.

Les formes de l’action sont, chez Malraux, l’aventure et la révolution.

L’aventure est une sorte de forme lyrique de l’action. Elle exprime la sensibilité humaine qui réclame ses droits et ne peut pas être tout à fait étouffée par le trop-plein de lucidité.

Agir pour être soi prouve qu’on est étranger à soi.

L’action pourrait être une issue possible de l’absurde.

Faisant appel à la solidarité, la revolution représente l’aspiration de totalité propre à chaque homme en proie à sa dualité. Elle transforme l’homme, révèle son courage de lutter contre l’humiliation et exprime son refus de se soumettre au destin de même que sa manière de s’y opposer par une forme privilégiée de l’effort collectif: la fraternité.

La notion de victoire renvoie à la responsabilité qu’on doit comprendre dans une perspective humaniste et non politique. Etre responsible et donc vainqueur, c’est faire triompher le courage devenu discipline pour attester la qualité d’homme.

Tout acte collectif ne peut pas délivrer l’homme de son angoisse, et chacun doit faire individuellement l’expérience de l’action. L’individualisme triomphe de la fraternité à cause de la solitude foncière de l’être humain. L’homme vit dans une communauté et veut avoir la conscience commune; cela deviendrait posible par une vraie communication mais cela ne se réalise jamais car ce qui associe vraiment les gens est leur destin commun, la mort, devant laquelle chacun reste seul. L’échec de la communication est absolu. Chacun doit trouver seul sa dignité, aucune solution collective ne peut le dispenser de l’effort éthique.

La fraternité unit les gens mais elle ne brise pas la solitude de chacun. Elle fait en sorte que l’homme dépasse sa médiocrité mais elle ne peut pas le faire s’arracher de l’individualisme qui l’enferme dans un monde dont il ne peut pas se séparer.

Thème du roman: la mort.

La mort est le destin commun des gens, qui prouve le caractère absurde de la condition humaine. L’homme n’arrive pas à se donner une consistance dans le temps, il échappe à lui-même en s’écoulant avec le temps qui le ronge, il mène une vie dans laquele la mort est présente.

Le vieillissement est la forme de l’incapacité de l’homme de se constituer dans le temps, la preuve que dès qu’il existe, il se développe pour mourir.

Par rapport à la mort tout acte est fragile et la vie absurde.

Les héros luttent pour réussir leur mort, chacun semble être à la recherche d’une mort qui ressemble à sa vie.

Thème du roman: l’amour.

L’amour révèle l’impuissance de l’individu devant son rêve d’unité.

En amour, l’être civilisé démontre sa faiblesse parce qu’il se fait une trop grande idée de lui-même.

La passion est un élément de désaccord de l’homme avec le monde. L’amour dénonce ce désaccord en exprimant, mieux que tout autre sentiment, le besoin de l’être humain de se mettre d’accord avec un autre.

Le sentiment d’amour est présent, dans les romans malruciens, sous deux formes distinctes: l’amour comme pratique et l’amour comme sentiment proprement dit.

L’érotisme définit la condition humaine car à ce niveau fonctionnent le désir, l’orgueil, la tristesse. Il est l’image de l’individualisme tragique de l’homme incapable de dépasser sa solitude.

Le seul couple qui réalise la communication amoureuse dans les romans de Malraux est celui formé par Kyo et May de la Condition humaine. La force et la complexité du sentiment résident dans ce désir de s’assimiler volontairement à l’être aimé.

L’amour est la seule forme de victoire sur la solitude.

Par ses deux aspects, érotique et idéal, l’amour met en évidence la permanente oscillation du héros malrucien, voire entre le bonheur auquel on aspire et pour lequel on s’engage, et la limite permanente à laquelle on se heurte et dont on est tragiquement conscient.

Tous les personnages de Malraux illustrent l’oscillation entre l’aspiration et la limite.
Les deux catégories sont:
a) le conquérant (l’éternel révolté);
b) le penseur (chez lequel l’aptitude à l’action reste au niveau d’un potentiel).

Le mythe du conquérant est la conséquence du besoin humain d’anéantir ce que la puissance ne peut jamais posséder.

L’homme qui rêve d’être dieu acquiert plusieurs visages: l’aventurier, l’anarchiste, le révolutionnaire et le terroriste.

[source Yvonne Goga, Novateurs du discours poétique français]