jeudi, mai 10, 2007

Philippe Jones, L’angle de vue (notes de lecture)

Paru chez S.N.E.L.A., dans le volume Fictions 1991-2004, Paris, 2005.

Sans laisser d’adresse

Jeu des souvenirs, glissement d’un sujet à l’autre, d’une image à l’autre. Tout à l’abri de la première phrase: « La mémoire? C’est souvent les autres. Les pertes de mémoire? Leur disparition. » (p. 113)


L’oiseau de pierre ou le voyage

Dans un pays africains (« ce pays que la sécheresse assiège »), un voyageur trouve une sculture qui rappelle un oiseau: « Oui, un oiseau clos sur lui-même, ovoïde, le cou engoncé, le bec courbe affleurant, deux perles pour le regard, une présence, la queue en spatule que la moindre alerte pourrait mobiliser. Les formes sont plus éloquentes, plus signifiantes que des mots écrits ou prononcés. L’oiseau, même celui d’un autre continent, d’une autre époque, reste toujours un oiseau. Ainsi l’Annonciation – qui vole et qui ne vole pas – est-elle souvent aussi massive, dans les tableaux des primitifs, que cette pierre ou qu’une colombe de Picasso; ainsi le bec d’Horus, dont les yeux sont lune et soleil, connaît-il une courbe égale à celle de ce cousin du sud. » (p. 117-118)

L’oiseau en pierre disparaît: « Envolé, par-delà la fenêtre close? Peut-être a-t-il rejoint, là-bas, dans le temps, l’esprit d’Horus, peut-être est-il devenu, dans l’espace, le compagnon de Brancusi. La poésie des formes, des lieux, des sons et des matières abolit les distances. » (p. 119)

Les migrations

Métaphore de la guerre appliquée à la vie courante: « Il y avait eu les instructions et l’enseignement du combat. Etre bien armé pour affronter la vie. Dès l’école primaire, c’était le mot d’ordre! Les orientations s’imposaient ensuite, sans tarder, la fine, la haute spécialisation, celle qui, dans une circonférence, permet, au millimètre près, de distinguer un point d’un autre, point qui s’aguise et devient pointe, dont le nombre forge une énorme roue dentée, qui s’imbrique dans une autre, et se met à tourner sans fin jusqu’à l’usure, jusqu’au moment où une nouvelle pointe, plus acérée encore, s’installe dans le mouvement perpétuel, du moins au niveau des hommes.
Parfois une roue de ce bel engrenage se brise – car on sait que tout ensemble est mortel -, il faut alors la changer; cela prend du temps, du travail, des guerres et des révolutions. On s’attelle ensuite au nouveau rouage, on chante victoire et liberté, puis on part au combat pour l’imposer à des autres. » (p. 121)


L’enfant du paradis

Une femme enceinte désire être caressée par un dirijeur d’orchestre: « [...] je t’ai vu jouer Ravel. Tes mains créaient le rythme et le volume des résonances. C’est cela que je voulais entendre en moi-même. Tout se vit entre la joie et l’apaisement... je voulais devenir cela sous tes mains [...] » (p. 125)


L’écart des nuits

Un psychologue voit dans son imagination une petite amie de son adolescence. Il apprend par hasard qu’elle a disparu dans un accident d’avion. La femme lui revient dans les rêves aux yeux ouverts comme un spectre dégoûtant. « Il se leva. Allait-il descendre à la cave, chercher, dans sa remise à bricolage, la corde qui le soutiendrait? » (p. 129)


La rousse à l’Alfa rouge

Une femme d’affaires tombe amoureuse d’un jeune peintre. La relation se dégrade, même si la femme essaie de dépasser la différence d’âge. Le jeune homme finit par se suicider, à cause d’un problème de nature artistique, paraît-il (ou à expression artistique): « La maison était vide, Murielle poussa la porte de l’atelier. L’odeur de térébenthine et d’huile était particulièrement forte; sur le chevalet, la grande toile qu’il nommait Oracle, et à laquelle il travaillait depuis des semaines, semblait balafrée par une large courbe, tracée en diagonale, et suivie d’une éclaboussure. On aurait dit un point d’interrogation. » (p. 132)


Entre la cendre et le feu

Une femme veuve élève seule son fils. Une relation avant le mariage, finie par un viol, la fait douter de la paternité de son enfant. Elle fait son ex-ami se soumettre à un test génétique. Le résultat est négatif. La relation avec son ancien amour est coupée bref, avant même de commencer.


Les rets de la Mazarine

« Les galeries sont des lieux de rencontre, d’occasions à saisir ou perdues. On n’y séjourne pas. Elles agissent parfois comme un filtre, effectuent un tri, captent des souvenirs dans leur nasse. » (p. 135)

Clin d’œil: « Matisse rêve aux Amours de Ronsard et trace, sur la place, des seins en cercles ouverts et vifs. » (p. 136)

Autre phrase inattendue: « Toutes les tables sont occupées. Apollinaire corrige des épreuves et supprime les virgules. » (p. 137)

Possible exergue: « Le livre peut être le miroir qui permet de passer de l’autre côté de la page. » (p. 138)

Fulguration qui éclaircit: « Edouard note, en passant, que Montaigne prévient le lecteur en date du 1er mars 1580: Je suis moy-mesmes la matière de mon livre. » (p. 139) Sans doute, Philippe Jones est la matière de son livre... mais ne l’est pas chaque auteur?


Jeu, set et match

Discussion d’affaires qui suit la pulsation d’un jeu de tennis.


Fränzi et Lolita

« L’art apprend à regarder autrement ce que l’on voit; c’est d’ailleurs là son but et sa raison d’être: modifier les angles de vue. » (p. 142)

Sorte de réplique au roman de Nabokov.


La cause perdue

Un procès juridique. Une mort. Peut-être l’accusé, peut-être l’avocat de la défense, qu’en sait-on?


Et croire que l’on peut

Jules Béraud est petit fonctionnaire. Un jour, il commence à réfléchir. Il sent le besoin d’un « garde-fou »: « Mais quel garde-fou? Un idéal? Un dieu? Avec majuscule? Une philosophie, une religion? » Il n’en trouve pas.


Ce besoin d’être

L’enfer conjugal. Lui, il rencontre une femme dans la rue, plus précisément les cuisses d’un femme, dont il rafolle. Le reste lui est presque indifférent: « à croire que les autres parties du corps, ni disgracieuses, ni sans doute indifférentes, n’étaient là que pour supporter, délimiter, mettre en valeur une sorte d’accomplissement comme une monture s’efface devant l’éclat d’une gemme! » (p. 151)
Il s’en va. Avec sa femme, avec la belle porteuse de cuisses? Nous n’en savons rien.


Les journées de Monsieur Martin

Des fonctionnaires: Martin (le supérieur) et Baffioux (le subordonné), grincheux, timide, buté. Cohabitation habituelle dans la bureaucratie. Vers la fin du récit, on apprend que la femme de Baffioux, Madeleine, est l’amante de Martin.


L’autre saison

« Si un scientifique se refuse au rêve, pour se soumettre aux seules données de l’expérience, il ne sera jamais que le petit comptable d’un tout petit bout de l’univers. » (p. 158)

« L’homme a besoin de religion, non pour survivre, mais pour se créer un paysage immuable; cependant c’est bien au-delà, toujours, que se trouve le réel. » (p. 159-160)


Suivant l’angle de vue

Exergue, peut-être: « Il se lança dans cet écrit comme on plonge d’un promontoire, de la haute falaise d’une vie qui a stratifié ses couches, et fut surpris par l’extraordinaire envol d’oiseaux qui sortait soudain des rochers lorsqu’il s’approcha du bord. » (p. 161) Le personnage se lance dans la vie, dans une relation extra-conjugale, dans un écrit...

Du chantage, un échec en carrière.

« L’image finale des Temps modernes lui revint à l’esprit. Le clown pathétique et la femme éternelle, une présence et un gage de durée, bras dessus, bras dessous, sans pomme ni serpent, en marche et tournant le dos au regard des autres, avec devant eux la route longue, légèrement ascendante, droite, avec des chants d’oiseaux et qu’une aube a saisi. » (p. 163)


La lettre du père

« Ainsi l’évènement seul a-t-il un relief au regard de l’information. Les raisons qui échappent au constat et au compte rendu ne présenteraient qu’une moindre importance. Curieuse vision des choses où la cause pèse moins que l’effet! Des morts provoquent de grands titres, mais le pourquoi, lorsque son évidence n’éclate pas, devient un mystère qui plane ailleurs et se dilue, baignant dans un halo de plus en plus diffus et pâle. » (p. 164)


Les racines de l’orage

Un blanc tombe amoureux d’une femme noire D’abord, il ne veut pas d’enfant. Puis il change d’avis. Récit autour de l’impondérable érotique.