dimanche, avril 27, 2008

Le XXe siècle

Le XXe siècle a commencé en France par une dizaine d’années particulièrement brillantes. La « Belle Epoque », il est vrai, ne fut pas belle pour tous, mais la classe bourgoise jouit d’un niveau de vie aisé. L’érection de la tour Eiffel (1889), les premiers bonds vers le ciel des aviateurs (Ader en 1890) étaient les signes préliminaires d’une réussite que résuma bien l’Exposition Universelle de Paris en 1900. L’affaire Dreyfus, les revendications socialistes, la crise marocaine, les troubles de 1905 en Russie ébranlèrent à peine cet optimisme.

L’activité intellectuelle et artistique, vive et brillante, était bien accordée à cette euphorie générale: les artistes du monde entier, attirés par la réputation de l’école française de peinture du XIXe siècle, se rassemblent alors à Paris, qui voit naître le mouvement des Nabis (Bonnard, Denis, Vulliard), le fauvisme (Matisse, Vlaminck, Derain, Van Dongen), le cubisme (Braque, Juan Gris, Picasso). Les talents sont nombreux, puissants, féconds: de Seurat, Van Gogh, Gauguin, Toulouse-Lautrec à Rouault, au douanier Rousseau, à Utrillo que de variété et quelle richesse!

En sculpture, Bourdelle et Maillol prennent la relève de Rodin.

Le cinéma, dont la première séance a été donnée en 1895, commence à conquérir un public plus étonné encore que ravi par la fantaisie de Méliès, les facéties de Max Linder, les dessins animés de Cohl.

En littérature, il n’y a ni renouvellement des genres ni transformation radicale de la sensibilité; mais des hommes de grand talent, de vive activité intellectuelle, d’intuition aiguë, composent des œuvres fortes, remuent beaucoup d’idées, préparent les voies d’un avenir indiscernable.

Les écrivains prennent parti, animent et illustrent les uns les thèses nationalistes, les autres au contraire les idées socialists. Maurras, Barrès, Léon Daudet s’opposent à Jean Jaurès, Anatole France, Romain Rolland. Un catholicisme actif inspire Goyau, Marc Sangnier, Claudel, Péguy; Bergson apporte au public cultivé la curiosité des problèmes philosophiques, revalorise la métaphysique, renouvelle la psychologie en soulignant la réalité mouvante de l’être humain. Le roman épouse toutes les formes de la pensée, toutes les variations personnelles des auteurs; sur la scène, Claudel inaugure un drame épique et lyrique à résonances mystiques; Edmond Rostand déploie ses qualités brillantes de fantaisie, le Belge Maurice Maeterlinck porte au théâtre les aspects mystérieux de la vie humaine; Cendrars et Apollinaire introduisent la vie moderne dans leur œuvre et font éclater les cadres de la poésie traditionnelle.

La guerre de 1914-1918 ouvre une crise terrible. Les pertes humaines sont effroyables, en quantité et en qualité, les ruines matérielles et morales sont énormes. Tandis qu’en Russie la révolution succède à la guerre (1917), la France retrouve après l’armistice un équilibre apparent. Paris s’illumine, s’enivre de fêtes et de spectacles; les expositions et les concerts se multiplient. La Société des Nations suggère l’espoir d’une paix universelle. Pourtant, des indices inquiétants apparaissent: la grande dépression économique de 1929 touche indirectement l’Europe et révèle la faiblesse du monde libéral.

Mais l’amélioration du niveau de vie, les progrès des moyens de communication (avion, automobile) et de la radio, la multiplication des journaux, les manifestations sportives en vogue, masquent le malaise et les troubles souciaux, qui aboutissent d’ailleurs à élever sensiblement le bien-être des salariés.

La littérature, bloquée ou ralentie pendant la guerre, connaît un prodigieux renouveau dans tous les domaines. L’art dramatique, qui en est un aspect majeur, est mis au premier plan par des hommes de théâtre comme Jacques Copeau, puis Pitoeff, Dullin, Jouvet et Baty. Jules Romains, Giraudoux, Bourdet, Salacrou, Guitry et, à partir de 1932, Jean Anouilh fournissent à d’excellents acteurs des textes brillants et souvent profonds. Le roman est aussi d’une exceptionnelle richesse; document précieux et original sur les complexités de l’être, avec Proust et Gide, il est le lieu de confidences infiniment nuancées chez Colette, de révélations d’âmes déchirées et de drames poignants chez Bernanos et Mauriac; il est parfois l’occasion d’œuvres monumentales, comme chez Martin du Gard et Jules Romains, qui replacent les hommes au cœur d’une époque complexe et passionnante; retour à une vie rustique, simple et saine chez Giono, il peut aussi nous inviter à cet épique et terrible Voyage au bout de la nuit que Céline accomplit en ricanant, préface à des voyages plus terrifiants encore... La poésie brille d’un éclat intense, moins peut-être par les réussites de Valéry, Aragon, Eluard, Max Jacob, Cocteau ou Supervielle que par les renouvellement de l’imagination poétique, la proscription impitoyable des lieux communs, le refus des contraintes rationnelles et le dédain des habitudes sclérosées. Cette révolution est provoquée dans l’âme même des poètes par le mouvement dada et le surréalisme. Elle ne devait pas aboutir à une destruction de la littérature, comme certains l’avaient cru, mais à une transformation profonde de l’idée de littérature et peut-être de l’idée de l’art et de la beauté.

Les grands peintres, Matisse, Braque, Dufy, Picasso, continuent une œuvre qui devient moins théorique et plus accessible. Fernand Léger cherche un langage convenant à la vie moderne et aux machines. Modigliani, Soutine, Chagall traduisent leurs rêves et leur conception du monde et des hommes. Le mouvement dada et le surréalisme touchent des peintres comme Duchamp et Picabia; Max Ernst et Chirico mêlent le rêve, voire l’hallucination, à l’image. Cette période voit en même temps l’extraordinaire croissance du cinéma, devenu à la fois art autonome, moyen d’expression et forme de création artistique. En France, grâce à de remarquables réalisateurs comme Jacques Feyder, René Clair, Jean Renoir, Abel Gance, les progrès et les réussites du « Septième Art » sont impressionants.

Mais la guerre menace encore: l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir en Allemagne (1933), la guerre d’Ethiopie, la guerre d’Espagne qui, en 1936, met aux prises volontaires des brigades internationales et corps expéditionnaires des gouvernements autoritaires (Italie et Allemagne), marquent le déchaînement des violences. La guerre de 1930 devient vite une conflagration générale: submergée par les divisions blindées, harcelée par l’aviation ennemie, la France est occupée en 1940. L’appel du général de Gaulle, le 18 juin, déclare que la lutte continue. Les Alliés débarquent en Afrique du Nord en 1942, en Normandie le 6 juin 1944 et les Allemands renoncent à la lutte en 1945. Il faut ensuite des années d’efforts pour remettre en état les ports, les chemins de fer, reconstruire souvent des villes entières.

Avant même d’avoir pansé ses blessures, la France doit faire face aux graves problèmes de la décolonisation: les peuples d’Asie et d’Afrique aspirent à une indépendance aussi rapide et complète que possible. A peine sortie de la guerre d’Indochine (1954), la France se trouve plongée dans la guerre d’Algérie, pays où vivent à côté de 9 millions d’Arabes, 1 milion d’hommes d’origine européenne, fixés là depuis plusieurs générations.

Le 13 mai 1958, à la suite des troubles provoqués par cette guerre, la IVe République fait place à une Ve, présidée par le géneral de Gaulle. Les accords d’Evian (1962) mettent fin aux hostilités.

Les Français sont entraînés comme tous les peuples civilisés dans le vertige merveilleux et terrifiant de la vie moderne; l’automobile est devenu d’un usage courant, l’aviation commerciale joue un rôle de plus en plus important, la télévision diffuse partout les images du monde entier. Les villes deviennent tentaculaires, en particulier l’agglomération parisienne, étourdissante et enfiévrée, qui ne cesse de s’étendre.

Dans ce monde hypertendu, la terreur du péril atomique subsiste depuis 1945 mais, en 1966, l’espoir d’un « modus vivendi » raisonnable entre les deux puissants blocs américain et soviétique, l’action pacifiste des chefs d’Etat et des papes Jean XXIII et Paul VI rassurent un peu l’opinion.

La littérature et les arts n’ont pas été stérilisés par la terrible guerre mondiale et les angoisses de l’après-guerre. Dans le foisonnement de la peinture moderne, touts les tendances peuvent s’exprimer; la querelle de l’art figuratif et de l’art abstrait prouve surtout l’enthousiasme et la conviction des combattants, tandis que d’excellents artistes comme Dunoyer de Segonzac, La Patellière, Chapelain-Midy ou Balthus poursuivent, à l’écart des discussions d’écoles, une œuvre durable. Luçat ressuscite la tapisserie et restaure l’artisanat.

Le cinéma, qui survit même aux pires jours de l’occupation, connaît une profusion qui n’exclut pas la qualité, grâce à d’excellents réalisateurs toujours actifs: Renoir, René Clair, Allégret, mais aussi Clouzot, René Clément, Bresson, Cayatte, Tati, précédant Vadim, Hossein, Camus et ceux de la « Nouvelle Vague »: Resnais, Godard, Truffaut, dont l’optique rejoint parfois étonnamment celle du nouveau roman, comme en témoigne l’unité de vues de Resnais et de Robbe-Grillet dans leur films l’Année dernière à Marienbad.

Après les souffrances de la guerre et ses crimes (Saint-Pol Roux, Max Jacob, Desnos en seront les victimes), la littérature a refleuri; essayistes et romanciers s’interrogent sur la condition humaine (Sartre, Camus, Julien Green) ou s’efforcent de retrouver à leur façon la réalité du monde (Robbe-Grillet, Butor). Le théâtre retrouve tout son éclat avec Salacrou, Anouilh, Ionesco. Mais c’est l’abondance des œuvres et des talents poétiques qui traduit le mieux le drame moderne et les nouvelles formes de bonheur et d’inquiétude. Bousquet, Reverdy, Eluard, Aragon, Breton, Michaux, Saint-John Perse, Prevert, Cadou, Senghor, Jouve, Emmanuel, Ponge ont exprimé toutes les expériences, les espérances, la douleur et la joie suprême de nos vies.

L’homme du XXe siècle échappera-t-il à l’emprise de l’Etat technocratique, aux ensembles concentrationnaires et aux machines insensibles? Peut-être, grâce à l’art et à la poésie, architecture d’une cité moins méfiante et plus fraternelle.

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