Pièce à sujet romantique, à la manière de Victor Hugo.
Exergue: « Elle ne pouvait compter sur rien, pas même sur le hasard. Car il y a des vies sans hasard. » (H. de Balzac)
Dans la préface Cocteau témoigne: « J’imaginais donc de mettre en scène deux idées qui s’affrontent et l’obligation où elle se trouvent de prendre corps. » Les idées: une reine d’esprit anarchiste, un anarchiste d’esprit royal.
Sur l’impacte du cinéma face au théâtre: « Depuis quelque temps je cherchais les causes d’une certaine dégénérescence du drame, d’une chute du théâtre actif en faveur d’un théâtre de paroles et de mise en scène. Je les mets sur le compte du cinématographe qui, d’une part oblige le public à voir les héros interprétés par des artistes jeunes, d’autre part habitue ces jeunes artistes à parler bas et à remuer le moins possible. Il en résulta que les bases mêmes des conventions théâtrales furent ébranlées, que disparurent les Monstres sacrés, qui de leurs tics, de leurs timbres, de leurs masques de vieux fauves, de leurs poitrines puissantes, de leur propre légende, formaient le relief indispensable au recul des planches et aux lumières d’une rampe qui mange presque tout. Ces vieux Oreste, ces vieilles Hermione se démodèrent, hélas, et, faute de cariatides pour les porter, les grands rôles disparurent avec. On leur substitua, sans même s’en rendre compte, la parole pour la parole et la mise en scène. Paroles et mise en scène prirent alors une place don’t les Sarah Bernhardt, les de Max, les Réhane, les Mounet-Sully, les Lucien Guitry, n’eurent jamais la moindre idée. Sur les planches o évoluaient ces ancêtres, la mise en scène se faisait toute seule et le décor ne parlait pas plus haut qu’eux. »
Le point de départ de la pièce est un événement historique, la tragédie de Krantz assassinat de la reine de Bavière, poignardée dans le dos.
Personnages
La reine, 30 ans
Edith de Berg, 23 ans
Stanislas (dit Azraël), 25 ans
Félix de Willenstein, 36 ans
Le comte de Foëhn, 45 ans
Tony (nègre sourd-muet au service de la reine)
Le premier acte: Chambre de la reine
Deuxième acte: Bibliothèque de al reine
Troisième acte: Même décor
Action
Le premier acte commence par une discution entre Edith et Félix, nobles qui jouent le rôle de domestiques de la reine. Ils lui font une caractérisation indirecte.
Edith dit: “La reine aime les insectes et les chauves-souris.” (I, 1)
Félix dit: “La Majesté se moque de l’étiquette et du cérémonial.” (I. 1)
La reine adore les orages et le galop.
Félix et Edith préparent le dîner que la reine veut prendre en compagnie de l’ombre du roi Frédéric, assassiné le matin de leur marriage.
Félix et Edith cachent une vieille histoire d’amour, leur mariage à eux a été refusé par l’archiduchesse (belle-mère de la reine).
Félix témoigne avoir vu le visage de la reine (couvert d’habitude d’un voile et d’un éventail). « J’étais le chasseur en train de viser un gibier qui se croit invisible et qui ne pense pas qu’il existe des hommes. Elle avançait sans éventail et sans voile. Une longue, longue robe noire et sa tête si haute, si pâle, si petite, si détachée, qu’elle ressemblait à ces têtes d’aristocrates que la foule des révolutions porte au bout d’une pique […] Je regardais de toutes mes forces […]. » (I, 1)
Toujours Félix: « Elle rayonnait de poignards comme une vierge espagnole. Son visage était si beau qu’il faisait peur. […] J’ai vu la reine, Edith. C’est une morte. » (I, 1) Ces paroles sont prémonitoires.
La reine: « Je n’ai jamais eu peur que du calme. » (I, 2)
L’archiduchesse, c’est l’étiquette. La reine, c’est l’orage.
Le souper avec l’ombre du roi, c’est une invention de la reine au niveau de l’étiquette (ce qui est une contradiction en termes, vu que l’idée d’étiquette refuse toute nouveauté personnelle).
Déjeuner de la reine seule. Monologue à haute voix, comme si le roi défunt y participait. La reine tire les cartes, à la manière des bohémiennes. Les cartes montrent toujours la même chose. « Toi, moi, les traîtres, l’argent, les ennuis, la mort […] les cartes n’annoncent rien qu’on ne sache. »
La reine accueille et cache dans sa chambre un jeune homme blessé, qui avait entré par la fenêtre. Tout de suite, Edith vient la prévenir que la police chasse un malfateur qui cherche à l’assassiner.
Stanislas avait publié sous le nom d’Azraël (l’ange de la mort dans la théologie judaïque) un poème: Fin de la Royauté. Son apparition physique ressemble curieusement à celle du roi assassiné, tel qu’elle a été retenue par un portrait.
La reine soigne l’anarchiste. « Quoi? Vous me demandez qui vous êtes? Mais, cher monsieur, vous êtes ma mort. C’est ma mort que je sauve. C’est ma mort que je cache. C’est ma mort que je réchauffe. C’est ma mort que je soigne. » (I, VI)
La reine raconte: « J’ai même obtenu de mes chimistes un poison que j’ai suspendu à mon cou et qui est une merveille. La capsule est longue à se dissoudre. On l’absorbe. On sourit à sa lectrice. On sait qu’on porte sa fin en soi et nul ne s’en doute. On s’habille en amazone. On monte à cheval. On saute des obstacles. On galope. On galope. On s’exalte. Quelques minutes après, on tombe de cheval. Le cheval vous traîne. Le tour est joué.
Je conserve cette capsule par caprice. Je ne l’emploierai pas. Je me suis vite rendu compte que le destin doit agir tout seul. » (I, 6)
Auto-caractérisation: Qu’est-ce que c’est qu’une reine? « Une femme en robe de cour qui tâche de gagner du temps » (I, VI).
Stanislas se tait, la reine parle. Le monologue antérieur avec le roi mort est remplacé avec un autre, avec sa sosie.
Edith: « Quand la reine décide une chose, ce n’est pas à moi de vous apprendre qu’elle ne se laisse influencer par personne et qu’elle arrive toujours à ce qu’elle veut. » (II, 3)
La reine: « Si je n’étais pas reine, je serais anarchiste. En somme, je suis une reine anarchiste. C’est ce qui fait que la cour me dénigre et c’est ce qui fait que le peuple m’aime. » (II, 4)
La première allusion au titre de la pièce: « La première fois que mon père a tué un aigle, il n’en revenait pas parce que l’aigle n’avait pas deux têtes comme sur nos armes. » (II, 5)
Stanislas reproche à la reine d’ignorer « les ténèbres qui sont ce qui n’est pas elles » (II, 5), de croire que sa vie d’hommes « commence à la fenêtre du château de Krantz » (II, 5).
Repproche: « J’ai rencontré des homes que ces hontes écœurent et qui les attribuaient à votre règne. Où étiez vous? Dans un nuage. Vous y viviez votre songe. Vous y dépensiez des fortunes, vous vous y bâtissiez des temples. Vous évitiez superbement le spectacle de nos malheurs. On vous a tué le roi. Est-ce ma fente? Ce sont les risques de votre métier. » (II, 5)
Stanislas tombe amoureux et témoigne son amour pour la reine: « Quand je suis entré dans votre chambre, j’étais une idée, une idée folle, une idée de fou. J’étais une idée en face d’une idée. […] Quand je suis revenu à moi, j’étais un homme chez une femme. » (II, 5)
La reine: « Si ma devise n’était pas: “A l’impossible je suis tenue”, je choisirais la phrase d’un chef indien auquel on reprochait d’avoir un peu trop mangé au dîner d’une ambassade: “Un peu trop, répondit-il, c’est juste assez pour moi!” » (II, 8)
Stanislas devient le lecteur de la reine, et remplace ainsi dans cette fonction Edith. Le Comte de Foëhn obtient une entrevue avec la reine. Stanislas assiste caché, avec la permission de la reine.
Le Comte de Foëhn: « Votre Majesté a bien tort de s’intéresser aux poètes. Ils finissent toujours par introduire leur désordre dans les rouages de la société. » (II, 8)
Comte de Foëhn, chef de la police, avoue à la reine avoir arrêté Azraël. C’est une duperie classique, par laquelle le fonctionnaire veut vérifier les réactions de la souveraine.
La reine dit à Stanislas: « Vous êtes une solitude en face d’une solitude. Voilà tout. […] Une femme et un homme qu’on traque. Des égaux. » (II, 9)
La reine croit que le comte de Foëhn n’est pas loin de l’attentat, qu’il avait connu et encouragé Stanislas, pour pouvoir devenir lui-même régent après sa mort.
L’amour de l’anarchiste et de la souveraine va de pair avec la mort: « Mes genoux sont sous votre tête et ma main sur elle. Votre tête est lourde. On dirait une tête coupée. » (II, 9)
Edith jette de sa fenêtre un billet au comte de Foëhn. La reine conseille à Stanislas de fuir le château. Celui-ci exige que la reine change de mode de vie, qu’elle quitte son isolation pour commencer à régner. « On complote contre vous. C’est facile, vous ne répondez rien. Les ministres le savent. Répondez-leur. Changez en un instant votre mode d’existence. Retournez dans votre capitale. Etincelez. Parlez à l’archiduchesse comme une reine et non comme une belle-fille. Ecrasez Foëhn. Nommez le duc de Willenstein généralissime. Appuyez-vous sur ses troupes. Passez-les en revue, à cheval. Etonnez-les. Vous n’aurez même pas à dissoudre les chambres ni à nommer de nouveaux ministres. Ils obéissent à une poigne. Je connais la vôtre. Je vous ai vue, cette nuit, tenir votre éventail comme un sceptre et frapper les meubles avec. Frappez les vieux meubles dont les tiroirs regorgent de paperasses. Balayez ces parerasses et cette poussière. Votre démarche suffit à faire tomber le peuple à genoux. Relevez votre voile. Montrez-vous. Exposez-vous. Personne ne vous touchera. Je vous l’affirme. Moi, je contemplerai votre œuvre. Je vivrai dans vos montagnes. Je les connais depuis toujours. Aucune police ne saurait m’y prendre. Et quand ma reine sera victorieuse, elle fera tirer le canon. Je saurai qu’elle me raconte sa victoire. Et quand la reine voudra m’appeler, elle criera comme un aigle, je viendrai m’abattre sur les pics où elle bâtissait ses châteaux. Je ne vous offre pas le bonheur. C’est un mot déshonoré. Je vous offre d’être, vous et moi, un aigle à deux têtes comme celui qui orne vos armes. Vos châteaux attendaient cet aigle. Vous les bâtissiez pour être ses nids. » (II, 10)
Edith arrange une entrevue entre Stanislas et le comte de Foëhn. Le chef de la police caractérise le geste incongru de la reine d’avoir imprimé et distribué à la cour le poème d’Azraël: « La reine est libre. Ce sont là des farces qui l’amusent. Seulement, il lui arrive de ne plus se rendre compte du désordre provoqué par des farces qui ne lui représentent, de loin, que des caprices, et qui prennent un sens beaucoup plus grave lorsqu’elle se produisent en public. » (III, 2)
Le chef de la police demande à l’anarchiste de veiller sur la volonté politique de la reine, de devenir en quelque sorte un instrument politique. « Je vous demande seulement que votre influence occulte nous aide à empêcher la reine de se jeter dans un échec. Je vous demande de vous arranger pour la suivre dnas sa capitale et d’empêcher l’affreux désordre que ne manquerait pas de produire une hostilité ouverte de la reine contre l’archiduchesse, les ministres, le conseil de la couronne, les chambres et le parlement. Ai-je été clair? » (II, 2)
Menace: « La puissance d’une reine a des limites, cher monsieur. Celle d’un chef de la police n’en a pas. » (III, 2) Stanislas ne veut pas coopérer. Le comte veut l’arrêter mais ils conviennent de ne pas le faire avant le départ de la reine. Stanislas jure de se rendre.
La reine: « Rendre beau le bonheur, voilà le tour de force. Le bonheur est laid […], s’il est absence de malheur, mais si le bonheur est aussi terrible que le malheur, c’est magnifique! » (III, 6)
Stanislas témoigne avoir écrit, dans son obsession sur la reine, d’autres textes, pires encore que celui publié. « Je n’écrivais pas. Je t’écrivais. » (III, 6) Ainsi, l’approche des deux personnages se fait à partir d’un texte, par des textes. Il évoque le projet de tuer la reine et de se suicider comme « une façon définitive de faire l’amour » (III, 6).
La reine avertit Félix qu’elle doit entreprendre un acte extraordinaire, le prix de son règne. Juste avant son départ, Stanislas lui avoue qu’il vient d’avaler la poison enfermée dans son médaillon, qu’il avait trouvé abandonné dans la bibliothéque. Il explique: « Je n’ai pas agi par crainte. En un éclair, je me suis rendu compte que rien n’était possible entre nous, qu’il fallait vous rendre libre et disparaître en plein bonheur. » (III, 8)
La reine dit à Stanislas que leur amour n’était pas vrai, qu’elle avait simulé: « Les reines n’ont guère changé depuis Cléopâtre. On les menacent, elles enjôlent. Elles choisissent un esclave. Elles en usent. Elles ont un amant, elles le tuent. » (III, 8)
La reine résume la pièce (le texte de Cocteau sur lui-même): « Premier acte: on veut tuer la reine. Deuxième acte, on veut convaincre la reine de remonter sur son trône. Troisième acte, on la débarrasse d’un héros indiscret. » (III, 8). Stanislas devient « on ».
Stanislas poignarde la reine. Avant de mourir, elle avoue l’avoir menti quand elle témoignait avoir menti sur son amour. Elle l’aime toujours, dans la mort, mais elle voulait le rendre fou, pour se faire tuer. Stanislas se meurt, lui-aussi, par l’effet de le poison.
L’aigle à deux tête est un vieux symbole héraldique présent sur les armoiries de plusieurs maisons royales européennes. Son sens est, tout court, la fraternité qui doit exister entre le pouvoir royal et celui sacerdotal (mis, maladroitement, au même niveau). La trouvaille de Cocteau est d’en faire l’image de l’amour de deux êtres qui deviennent un.
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L'Aigle à deux têtes bientôt sur scène au théâtre du Guichet Montparnasse à Paris, du 13 mars au 11 mai 2013, du mercredi au samedi à 20h30.
Renseignements :
http://perso.numericable.fr/etincellecompagnie
http://www.facebook.com/aigleadeuxtetes
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