1. Dans la grammaire aristotélicienne, la distinction entre nom et verbe repose sur des critères d’ordre logique: l’un dénomme des substances ou des entités, l’autre prédique les propriétés accidentelles de celles-ci. L’un fournit le sujet et l’autre, le prédicat du jugement, la complémentarité des deux fonctions étant la condition sine qua non d’une bonne structuration logique de la phrase.
L’importance accordée au verbe en tant qu’élément indispensable à la formulation d’un jugement se reflète dans la terminologie utilisée en grammaire pour désigner cette partie du discours. Le nom grec rhema signifie non seulement “verbe” mais aussi “mot”, “parole”, de même que son équivalent latin verbum, dont les descendants roumain (verb) et français (verbe) ont gardé les deux sens.
La grammaire de Panini offre sur ce point une parfaite analogie avec les grammaires grecque et latine: padám désignait en sanscrit aussi bien le verbe que le mot en général.
Le rôle capital que joue le verbe dans l’organisation syntaxique et sémantique de la phrase est unanimement reconnu par les grammairiens: selon Sextil Puşcariu (1940), “verbul e sâmburele frazei” (le verbe est le noyau de la phrase) et selon Lucien Tesnière (1953), “le verbe est le nœud des nœuds”.
Mais alors que la fonction de dénomination était dévolue chez Platon et Aristote au seul substantif, la fonction de prédication incombait non seulement au verbe mais aussi à l’adjectif. Ainsi dans:
Claudine s’en va
Le livre est sur le pupitre
La vie est courte
Claudine, le livre, la vie désignent des êtres ou des choses, tandis que s’en va, est sur le pupitre, est courte constituent des prédications d’action, de lieu et de qualité sur les entités en question.
2. A partir du moyen âge, on établit entre le verbe et l’adjectif une distinction aussi nette qu’entre le verbe et le substantif. Mais les définitions notionnelles qu’on en donne ne sont pas toujours à même d’étayer ces distinctions: les noms dénotent des êtres ou des choses, les adjectifs, des qualités, et les verbes, des actions et des états. Mais comme le remarque à juste titre J. Lyons (1970), la différence entre qualité et état est moins tranchée que celle entre état et action: est-ce que savoir, exister, heureux, jeune désignent des états ou des qualités?
D’autre part, il y a des substantifs qui semblent dénoter des qualités plutôt que des entités (beauté, petitesse, tolérance), alors que le dénotatum de séjour, existence, course, départ semble tenir non pas de l’entité mais plutôt de l’état ou de l’action.
Entre les catégories sémantiques d’entité, de qualité, d’action ou d’état et les catégories lexico-grammaticales de substantif, d’adjectif et de verbe il n’y a pas de correspondance parfaite, loin de là. “Les parties du discours n’empiètent pas seulement les unes sur les autres, dit E. Sapir, mais elles sont susceptibles d’échanger leurs identité”. Il en conclut qu’une partie du discours “ne reflète pas tant notre conception intuitive de la réalité que notre aptitude à réduire cette réalité en une variété de systèmes de formes”.
Le conflit entre critères notionnels et critères formels, qui a jalonné toute l’évolution de la pensée grammaticale et que le débat entre modèles hérités de la logique classique et modèles issus du structuralisme n’a fait que relancer au XXe siècle, trouve dans le verbe un de ses terrains favoris d’action. Ainsi, selon G. Guillaume (1929), promoteur d’une conception « psychosystématique » de la langue, la différence entre l’infinitif marcher et le substantif marche consiste en ce que la forme verbale implique une tension, c’est du procès à l’état latent, tandis que le nom c’est l’idée de procès dénuée de toute tension.
Suivant E. Référovskaïa et A. Vassiliéva (1964), le substantif déverbal fournit une représentation notionnelle du phénomène en question (action ou état), qui se voit ainsi dépourvu de toute assise temporelle ou personnelle: la marche, la lecture. Le verbe représente l’action ou l’état comme un processus situé dans le temps et accompli par un agent et ceci, grâce à un système spécifique de marques.
Ches les tenants du structuralisme, les critères formels se substituent complètement aux critères sémantiques, tarés de non pertinents. Pour Edward Sapir, représentant du descriptivisme américain, « une partie du discours mise en dehors des restrictions de la syntaxe n’est qu’une vapeur insaisissable. Tout dépend des démarcations qu’on reconnaît entre les formes ». Pour André Martinet, promoteur du « fonctionnalisme », la distinction entre nom et verbe ne recouvre pas une différence réelle. Pluie et pleuvoir ne traduisent pas deux conceptions différentes d’un même phénomène. Ce sont là « deux formes linguistiques distinctes dont le choix est déterminé par le contexte: a pluie continue et il pleut sans arrêt ».
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dimanche, août 03, 2008
Le verbe dans la grammaire (notes de cours)
Publié par:
Radu Iliescu
le
dimanche, août 03, 2008
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