Accusé d’un modernisme ouvert à toutes les tendances littéraires, plus ou moins fondées. Possesseur d’un lyrisme hérité des romantiques mélancoliques et ouvreur d’une nouvelle ère littéraire du discours poétique.
Apollinaire a mis en confusion ceux qui l’ont connu par les mythes dont l’écrivain même s’est entouré: le mal-aimé, le héros de la guerre, le fantaisiste, le maître du scandale, le défenseur d’une cause aussi désespérée que le cubisme.
La difficulté de l’approche du texte apollinairien est accentuée par la disponibilité textuelle excessive de l’écrivain. Lettré très raffiné, lecteur fécond, connaisseur des littératures antiques, classiques et modernes, il a été ouvert à la fois au folklore, à la réalité quotidienne, au développement en galop de la technique et à toutes les nouvelles tendances culturelles et artistiques, sans négliger les civilisations antiques et l’art primitif des Noirs.
Le poète s’est lancé dans l’acte d’écrire avec une telle richesse d’idées et de langages que l’œuvre qu’il a créé a l’aspect d’un collage de textes appartenant à des âges et à des manières littéraires différentes.
Il y a deux grands noyaux intertextuels thématico-stylistiques dans son œuvre: l’un de nature romantique et symboliste (thème de l’écoulement du temps et de la mort), l’autre moderniste (thème de l’érotisme, de l’irruption du rêve dans la réalité, du pouvoir prophétique du langage).
Ses deux recueil représentatifs sont: Alcools et Calligrammes.
Alcools comprend des poèmes de fin d’amour et fin de la foi. C’est la recherce de l’Absolu d’un poète qui a perdu “l’habitude de croire”.
Comme poèmes de la destinée, Alcools sont issus du pessimisme romantique de la fuite du temps, de l’inutilité de la remémoration dans un temps irréversible. Ils représentent une manière d’exorciser la mort par le langage et de faire triompher la vie comme aube et matin, comme ivresse et comme plénitude.
Alcools annonce l’activité poétique moderne.
C’est un recueil de poésie brûlante comme l’alcool, qui traduit l’ébriété d’une conscience neuve usant des pouvoirs qu’elle se découvre sans cesse.
Les Calligrammes sont noyées dans le thème trop présent de la guerre.
Innovations topographiques déconcertantes. L’exégèse a remarqué la présence d’une poésie de l’espace, par rapport à celle du temps que révélait le recueil précédent.
Le désir du poète de sentir la vie par tous les sens caractérise les deux. Boire la vie comme une eau-de-vie est une constante d’Alcools, reprise dans Calligrammes.
La position d’Apollinaire est entre la tradition poétique et la modernité. Il est un poète conciliateur, qui veut mettre d’accord la tradition et l’innovation.
Apollinaire mise souvent dans sa création sur les effets contraires.
Il désire frayer une nouvelle voie à l’inspiration, qui doit se déployer librement et sans contraintes; l’écrivain doit s’y abandonner, ce qui explique la multitude de voix intérieures.
Le poète a exprimé plusieurs fois sa confiance absolue dans l’inspiration et dans l’imagination. Il veut accéder à la vérité à partir de l’inspiration, la surprise et l’invention.
Apollinaire présente l’invention et la surprise comme les deux principes de base de l’art moderne, grâce auxquels on peut écrire dans tous les domaines.
Comme méthode poétique, Apollinaire adopte un jeu constant entre le continu et le discontinu. Les poèmes se présentent comme une association d’images disparates qui expriment le désordre de l’intérieur de l’âme.
Le lyrisme apollinairien est un lyrisme contradictoire, trouvé sous le signe de l’innovation et de la surprise, entraîné dans les efforts du jeu désordre-ordre, exprimant la multiplication du moi et l’effort du poète d’en refaire l’unité.
Son lyrisme particulier fait naître, avant l’aventure surréaliste, un discours qui tend à se libérer des cadres de la pensée et qui, refermé sur le discours critique, interroge le langage, forcé par le langage même, étant lié à la dérision et au scandale.
Apollinaire se sert du calembour.
Comme Rimbaud, il mise sur les effets de la surprise du mot dans le contexte. Le lecteur est provoqué par des jeux textuels, par les incohérences verbales et les ruptures syntaxiques.
L’impudeur dont le poète fait souvent preuve, surtout dans la poésie d’amour est aussi l’impudeur de l’innovateur qui entend rafraîchir à tout prix les zones archiconnues de l’expression lyrique en vue de libérer le poème.
Il y a chez Apollinaire une rencontre de rythmes classiques et de rythmes propres aux chansons populaires et aux danses comme la ronde.
Il ouvre la voie par laquelle des images appartenant à la tradition poétique font carrière dans le discours poétique moderne.
Les grands thèmes de la poétique apollinairienne sont le mal-aimé et l’enchanteur. La notion de mal-aimé est d’une suggéstivité accrue par raport à la simple opposition aimé – non aimé.
D’ailleurs, la technique de l’adverbe “mal” antéposé à un adjectif, très fréquente chez Apollinaire, exprime toute menace, tout aspect maléfique de l’existence.
L’amour a chez Apollinaire le double aspect de pureté et de pornographie.
La recherche de la femme absente du mythe d’Orphée se transforme dans la découverte de la fausseté de la femme présente. Dans toute femme, le mal-aimé reconnaît la fausseté de l’amour même, l’être qui ment, qui s’éloigne et laisse l’homme seul avec sa chanson abandonné.
Apollinaire démystifie le mythe de l’androgyne primordial, l’unité de la sphère des deux corps étant brisés par le mensonge et la débauche qui s’y glissent.
Pourtant, le mal-aimé n’est pas un être tragique. Il rejette le passé et tout ce qui aurait pu l’entraîner dans sa descente intérieure. Il est le poète qui a la confiance dans les pouvoirs de son langage et rejette toute tentation pour se dédier à son métier.
Chez Apollinaire la femme est tantôt la sirène, tantôt la Loreley. La femme se déshumanise parce qu’elle est incapable d’aimer, la Loreley s’humanise par le sentiment d’amour qu’elle éprouve. L’amante devient traîtresse, alors que la séductrice traditionnelle, la Loreley, devient capable d’aimer.
Le mal-aimé se guérit de son mal en devenant enchanteur. Les deux thèmes sont chez Apollinaire l’espace du jeu avec les mythes. Il est préfiguré par l’attirance pour le mythe d’Orphée, le dompteur et l’être sensible qui veut accéder à la lumière et au soleil par le charme de son chant.
Dans sa poésie se rencontrent les grands héros des mythes (Ulysse, Icare, Orphée, Dionysos, Héraclès). Mais dans sa vision chaque héros mythique devient un anti-héros et démystifie le mythe jusqu’à le rendre égal de la vie même.
La figure mythique centrale du thème de l’enchanteur est celle d’Orphée-Icare, l’anti-héros d’une anti-recherche.
Interprétations du poème Zone:
- le poète aspire à la connaissance totale, mais tombe victime de sa connaissance tout en entraînant la chute de celle-ci;
- recherche de la pureté de l’enfance et du temps perdu à la façon proustienne avant la lettre;
- poème de l’errance, de la mélancolie et du retour en arrière;
- poème qui donne la plus vive impression de réalité etc.
L’anti-Orphée d’Apollinaire, qui échoue dans la recherche de l’amour et de la connaissance, fait la conquête de la poésie.
L’aventure du mal-aimé prépare la mythologie d’Apollinaire. Un mythe nouveau, créé par le vainqueur des sirènes, prend naissance. C’est le mythe de l’enchanteur qui exprime chez Apollinaire l’élévation comme effet du langage compensant la chute de la recherche gnostique.
Les expériences du langage installent le poète dans un présent qui lui fait vivre simultanément le passé et l’avenir sous la protection du soleil. La technique du simultanéisme lui a été inspirée par la peinture.
Le poème-conversation, l’idéogramme ou le poème-image sont autant de formes du simultanéisme au niveau du discours.
Une écriture fondée sur l’inconscient, la surprise et le hasard permet au poète de réinventer la poésie, ce qui s’inscrira comme principe dans la future doctrine surréaliste.
[source Yvonne Goga, Novateurs du discours poétique français]
Voir aussi Guillaume Apollinaire (I)
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