Edition de Claudine Gothot-Mersch.
Paru chez Gallimard, 1983.
I.
Le décor, avant la nuit de la tentation: « C’est dans la Thébaïde, au haut d’une montagne, sur une plate-forme arrondie en demi-lune, et qu’enferment de grosses pierres.
La cabane de l’Ermite occupe le fond. Elle est faite de boue et de roseaux, à toit plait, sans porte. On distingue dans l’intérieur une cruche avec un pain noir; au milieu, sur une stèle de bois, un gros livre; par terre, çà et là, des filaments de parterie, deux ou trois nattes, une corbeille, un couteau.
A dix pas de la cabane, il y a une longue croix plantée dans le sol; et, à l’autre bout de la plate-forme, un vieux palmier tordu se penche sur l’abîme, car la montagne est taillée à pic, et le Nil semble faire un lac au bas de la falaise.
La vue est bornée à droite et à gauche par l’enceinte des roches. Mais du côté du désert, comme des plages qui se succéderaient, d’immenses ondulations parallèles d’un blond cendré s’étirent les unes derrière les autres, en montant toujours; - puis au-delà des sables, tout au loin, la chaîne libyque forme un mur couleur de craie, estompé légèrement par des valeurs violettes. En face, le soleil s’abaisse. Le ciel, dans le nord, est d’une teinte gris perle, tandis qu’au zénith des nuages de pourpre, disposés comme les flocons d’une crinière gigantesque, s’allongent sur la voûte bleueu. Ces rais de flamme se rembrunissent, les parties d’azur prennent une pâleur nacrée; les buissons, les cailloux, la terre, tout maintenant paraît dur comme du bronze; et dans l’espace flotte une poudre d’or tellement menue qu’elle se confond avec la vibration de la lumière. » (p. 51-52)
Portrait de saint Antoine: « [Il] a une longue barbe, de longs cheveux, et une tunique de peau de chêvre, est assis, jambes croisées, en train de faire des nattes. » (p. 52) Il évoque son parcours spirituel: le départ de la maison paternelle, l’apprentissage auprès « du bon vieillard Didyme ». Le refuge à Colzim où il a ses propres apprentis ascètes, la rencontre devant le temple de Sérapis avec Ammonaria martyrisée, le soutien accordé à Athanase contre les Ariens...
Portrait de son meilleur disciple, Hilarion: « Il avait peut-être quinze ans quand il est venu; et son intelligence était si curieuse qu’il m’adressait à chaque moment des questions. Puis, il écoutait d’un air pensif; - et les choses dont j’avais besoin, il me les apportait sans murmure, plus leste qu’un chevreau, gai d’ailleurs à faire rire les patriarches. C’était un fils pour moi! » (p. 54-55)
Lectures éparpillées de quelques versets bibliques. Idée: « Car le monde, - ainsi qu’un philosophe me l’a expliqué, - forme un ensemble dont toutes les parties influent les unes sur les autres, comme les organes d’un seul corps. Il s’agit de connaître les amours et les répulsions naturelles des choses, puis de les mettre en jeu?... On pourrait donc modifier ce qui paraît être l’ordre immuable? » (p. 59)
Anticipation de la tentation: « Cependant, j’avais cru sentir l’approche... Mais pourquoi viendrait-Il? D’ailleurs, est-ce que je ne connais pas ses artifices? J’ai repoussé le monstrueux anachorète qui m’offrait, en riant, des petits pains chauds, le centaure qui tâchait de me prendre sur sa croupe, - et cet enfant noir apparu au milieu des sables, qui était très beau, et qui m’a dit s’appeler l’esprit de fornication. » (p. 59)
Première évocation des Pères de Nicée, que saint Antoine ne tient pas haut en estime.
L’arrivée du Diable sous la forme des voix sans visage.
II.
« C’est le Diable, accoudé contre le toit de la cabane et portant sous ses deux ailes, - comme uine chauve-souris gigantesque qui allaiterait ses petits, - les Sept Péchés Capitaux, dont les têtes grimaçantes se laissent entrevoir confusément. » (p. 65)
Rentré dans sa gîte, saint Antoine ne trouve ni sa cruche à l’eau, ni son pain. La vision du festin. La vision de la coupe qui jette dans l’abri des pièces en or et des bijoux.
Le désespoir du saint: « Je voudrais me battre, ou plutôt m’arracher de mon corps! Il y a trop longtemps que je me contiens! J’ai besoin de me venger, de frapper, de tuer! c’est comme si j’avais dans l’âme un troupeau de bêtes féroces. » (p. 70)
La vision avec les moines d’Alexandrie, qui attaquent et tuent les hérétiques.
La vision de la rencontre avec l’empereur Constantin. La tentation de la gloire: « Cependant Antoine remarque des esclaves au fond des loges. Ce sont les pères du Concile de Nicée, en haillons, abjects. Le martyr Paphnuce brosse la crinière d’un cheval, Théophile lave les jambes d’un autre, Jean peint les sabots d’un troisième, Alexandre ramasse du crottin dans une corbeille. Antoine passe au milieu d’eux. Ils font la haie, le prient d’intercéder, lui baisent les mains. La foule entière les jue; et il jouit de leur dégradation, démesurément. Le voilà devenu un des grands de la Cour, confident de l’Empereur, premier ministre! Constantin lui pose son diadème sur le front. Antoine le garde, trouvant cet honneur tout simple. » (p. 74-75)
La vision pendant laquelle saint Antoine devient Nabuchodonosor et roule dans la bassesse.
La flagelation.
La tentation avec la Reine de Saba et la promesse des délices et des trésors. « Toutes celles que tu as rencontrées, depuis la fille des carrefours chantant sous sa lanterne jusqu’à la patricienne effeuillant des roses du haut de sa litière, toutes les formes entrevues, toutes les imaginations de ton désir, demande-les! Je ne suis pas une femme, je suis un monde. Mes vêtements n’ont qu’à tomber, et tu découvriras sur ma personne une succession de mystères! [...] Si tu posais ton doigt sur mon épaule, ce serrait comme une traînée de feu dans tes veines. La possession de la moindre place de mon corps t’emplira d’une joie plus véhémente que la conquête d’un empire. Avance tes lèvres! mes baisers ont le goût d’un fruit qui se fondrait dans ton cœur! Ah! comme tu vas te perdre sous mes cheveux, humer ma poitrine, t’ébahir de mes membres, et brûlé par mes prunelles, entre mes bras, dans un tourbillon... » (p. 84-85)
III.
Un enfant sur le seuil de la cabane: « Cet enfant est petit comme un nain, et pourtant trapu comme un Cabire, contourné, d’aspect misérable. Des cheveux blancs couvrent sa tête prodigieusement grosse; et il grelotte sous une méchante tunique, tout en gardant à sa main un rouleau de papyrus. » (p. 86) Il veut passer pour le disciple Hilarion.
Dialogue entre Hilarion et saint Antoine. Hilarion encourage tous les mauvais penchants du saint. Tentation de Hilarion: « Cette vie à l’écart des autes est mauvaise. » Réponse du saint: « Au contraire! L’homme, étant esprit, doit se retirer des choses mortelles. Toute action le dégrade. Je voudrais ne pas tenir à la terre, - même par la plante de mes pieds! » (p. 90)
Hilarion parle contre le martyre: « Ton Dieu n’est pas un Moloch qui demande de la chair en sacrifice! » (p. 91)
Hilarion exhorte au dialogue intellectuel: « Le sorcier Balaam, le poète Eschyle et la sibylle de Cumes avaient anoncé le Sauveur. Denys l’Alexandrin reçut du Ciel l’ordre de lire tous les livres. Saint Clément nous ordonne la culture des lettres grecques. Hermas été converti par l’illusion d’une femme qu’il avait aimée. » (p. 93)
Hilarion parle contre les miracles: « La parole de Dieu, n’est-ce pas, nous est confirmée par les miracles? Cependant les sorciers de Pharaon en faisaient; d’autres imposteurs peuvent en faire; on s’y trompe. Qu’est-ce donc qu’un miracle? Un événement qui nous semble en dehors de la nature. Mais connaissons-nous toute sa puissance? Et de ce qu’une chose ordinairement ne nous étonne pas, s’ensuit-il que nous la comprenions? » (p. 93)
Hilarion remarque des discordances dans la Bible: « Cependant l’ange annonciateur, dans Matthieu, apparaît à Joseph, tandis que dans Luc, c’est à Marie. L’onction de Jésus par une femme se passe, d’après le premier Evangile, au commencement de sa vie publique, et, selon les trois autres, peu de jours avant sa mort. Le breuvage qu’on lui offre sur la croix, c’est, dans Matthieu, du vinaigre avec du fiel, dans Marc du vin et de la myrrhe. Suivant Luc et Matthieu, les apôtres ne doivent prendre ni argent ni sac, pas même de sandales et de bâton; dans Marc, au contraire, Jésus leur défend de rien emporter si ce n’est des sandales et un bâton. Je m’y perds!... » (p. 94)
D’auters remarques d’Hilarion, autant de tentations: « Au contact de l’hémorroïdesse, Jésus se retourna en disant: « Qui m’a touché? » Il ne savait donc pas qui le touchait? Cela contredit l’omniscience de Jésus. Si le tombeau était surveillé par des gardes, les femmes n’avaient pas à s’inquiéter d’un aide pour soulever la pierre de ce tombeau. Donc, il n’y avait pas de gardes, ou bien les saintes femmes n’étaient pas là. A Emmaüs, il mange avec ses disciples et leur fait tâter ses plaies. C’est un corps humain, un objet matériel, pondérable, et cependant qui traverse les murailles. Est-ce possible? [...] Pourquoi reçut-il le Saint Esprit, bien qu’étant le Fils? Qu’avait-il besoin du baptême s’il était le Verbe? Comment le Diable pouvait-il le tenter, lui, Dieu? » (p. 95)
Hilarion formule la tentation de la connaissance: « Mais en dehors du dogme, toute liberté de recherche nous est permise. Désires-tu connaître la hiérarchie des Anges, la vertu des Nombres, la raison des germes et des métamorphoses? » (p. 96)
IV.
Hilarion promet des révélations intellectuelles: « Le Seigneur a dit: « j’aurais encore à vous parler de bien des choses. » Ils posèdent ces choses » (p. 98)
Etalage d’idées religieuses provenant d’autres traditions. Les hérésiarques chrétiens. Antoine les rejette: « Docteurs, magiciens, évêques et diacres, hommes et fantômes, arrière! arrière! Vous êtes tous des mensonges! » (p. 116)
Discours du gymnosophiste (yoga?): « Comme l’existence provient de la corruption, la corruption du désir, le désir de la sensation, la sensation du contact, j’ai fui toute action, tout contact; et – sans plus bouger que la stèle d’un tombeau, exhalant mon haleine par mes deux narines, fixant mon regard sur mon nez, et considérant l’éther dans mon esprit, le monde dans mes membres, la lune dans mon cœur, - se songeais à l’essence de la grande Ame d’où s’échappent continuellement, comme des étincelles de feu, les principes de la vie. J’ai saisi enfin l’Ame suprême dans tous les êtres, tous les êtres dans l’Ame suprême; - et je suis parvenu à y faire entrer mon âme, dans laquelle j’avais fait rentrer mes sens. Je reçois la science, directement du ciel, comme l’oiseau Tachataka qui ne se désaltère que dans les rayons de la pluie. Par cela même que je connais les choses, les choses n’existent plus. Pour moi, maintenant, il n’y a pas d’espoi et pas d’angoisse, pas de bonheur, pas de vertu, ni jour ni nuit, ni toi ni moi, absolument rien. Mes austérités effroyables m’ont fait supérieur aux Puissances. Une contraction de ma pensée peut tuer cent fils de roi, détrôner les dieux, bouleverser le monde. » (p. 131)
La tentation venue de Simon le Mage: « Celui qui connaît les forces de la Nature et la substance des Esprits doit opérer des miracles. C’est le rêve de tous les sages – et le désir qui te ronge; avoue-le! Au milieu des Romains, j’ai volé dans le cirque tellement haut qu’on ne m’a plus revu. Néron ordonna de me décapiter; mais ce fut la tête d’une brébis qui tomba par terre, au milieu de la mienne. Enfin on m’a enseveli tout vivant; mais j’ai ressuscité le troisième jour. La preuve, c’est que me voilà! [...] Je peux faire se mouvoir des serpents de bronze, rire des statues de marbre, parler des chiens. Je te montrerai une immense quantité d’or; j’établirai des rois; tu verras des peuples m’adorant! Je peux marcher sur les nuages et sur les flots, passer à travers les montagnes, apparaître en jeune homme, en vieillard, en tigre et en fourmi, prendre ton visage, te donner le mien, conduire la foudre. L’entends-tu? » (p. 138)
Apollonius dit: « Il est descendu du Ciel. Moi, j’y monte – grâce à ma vertu qui m’a élevé jusqu’à la hauteur du Principe! » (p. 155)
Apollonius le tente avec les Idées platoniciennes: « Par-dessus toutes les formes, plus loin que la terre, au-delà des cieux, réside le monde des Idées, tout plein du Verbe! D’un bond, nous franchirons l’autre espace; et tu saisiras dans son infinité l’Eternel, l’Absolu, l’Etre – Allons! donne-moi la main! En marche! » (p. 159)
V.
Les images des dieux hindous.
Les rencontres avec Boudha, Ormuz, Isis.
Hilarion sur les dieux: « L’empereur Constantin adore Apollon. Tu retrouveras la Trinité dans les mystères de Samothrace, le baptême chez Isis, la rédemption chez Mithra, le martyre d’un Dieu aux fêtes de Bacchus. Proserpine est la Vierge!... Aristée, Jésus! » (p. 189)
Les dieux grecs.
VI.
Le Diable est métaphysicien: « Mais admettre en Dieu plusieurs actes de volonté c’est admettre plusieurs causes et détruire son unité! Sa volonté n’est pas séparable de son essence. Il n’a pu avoir une autre volonté, ne pouvant avoir une autre essence; - et puisqu’il existe éternellement, il agit éternellement. Contemple le soleil! De ses bords s’échappent de hautes flammes lançant des étincelles, qui se dispersent pour devenir des mondes; - et plus loin que la dernière, au-delà de ces profondeurs où tu n’aperçois que la nuit, d’autres soleils tourbillonnent, derrière ceux-là d’autres, et encore d’autres, indéfiniment... [...] Le néant n’est pas! Le vide n’est pas! Partout il y a des corps qui se meuvent sur le fond immuable de l’Etendue; - et comme si elle était bornée par quelque chose, ce ne serait plus l’étendue, mais un corps, elle n’a pas de limites! [...] Monte dans le ciel toujours et toujours; jamais tu n’atteindras le sommet! Descends au-dessous de la terre pendant des milliards de milliards de siècles, jamais tu n’arriveras au fond, - puisqu’il n’y a pas de fond, pas de sommeil, ni haut, ni bas, aucun terme; et l’Etendue se trouve comprise dans Dieu qui n’est point une portion de l’espace, telle ou telle grandeur, mais l’immensité! [...] Concevoir quelque chose au-delà, c’est concevoir Dieu au-delà de Dieu, l’être par-dessus l’être. Il est donc le seul Etre, la seule substance. Si la substance pouvait se diviser, elle perdrait sa nature, elle ne serait pas elle, Dieu n’existerait plus. Il est donc indivisible comme infini; - et s’il avait un corps, il serait composé de parties, il ne serait plus un, il ne serait plus infini. Ce n’est donc pas une personne! [...] Tu désires que Dieu ne soit pas Dieu; - car s’il éprouvait de l’amour, de la colère ou de la pitié, il passerait de sa perfection à une perfection plus grande, ou plus petite. Il ne peut descendre à un sentiment, ni se contenir dans une forme. » (p. 211-213) Jusqu’ici le discours est métaphysiquement impécable. Mais ses conclusions sont démoniaques: « L’exigence de ta raison fait-elle la loi des choses? Sans doute le mal est indifférent à Dieu puisque la terre en est couverte! Est-ce par impuissance qu’il le supporte, ou par cruauté qu’il le conserve? Penses-tu qu’il soit continuellement à rajuster le monde comme une œuvre imparfaite, et qu’il surveille tous les mouvements de tous les êtres depuis le vol du papillon jusqu’à la pensée de l’homme? S’il a créé l’univers, sa providence est superflue. Si la Providence existe, la création est défectueuse. Mais le mal et le bien ne concernent que toi, - comme le jour et la nuit, le plaisir et la peine, la mort et la naissance, qui sont relatifs à un coin de l’étendue, à un milieu spécial, à un intérêt particulier. Puisque l’infini seul est permanent, il y a l’Infini; - et c’est tout! [...] Mais les choses ne t’arrivent que par l’intermédiaire de ton esprit. Tel qu’un miroir concave il déforme les objets; - et tout moyen te manque pour en vérifier l’exactitude. Jamais tu ne connaîtras l’univers dans sa pleine étendue; par conséquent tu ne peux te faire une idée de sa cause, avoir une notion juste de Dieu, ni même dire que l’univers est infini, - car il faudrait d’abord connaître l’Infini! La Forme est peut-être une erreur de tes sens, la Substance une imagination de ta pensée. A moins que le monde étant un flux perpétuel des choses, l’apparence au contraire ne soit tout ce qu’il y a de plus vrai, l’illusion serait la seule réalité. Mais es-tu sûr de voir? es-tu même sûr de vivre? Peut-être qu’il n’y a rien! [...] adore-moi donc! Et maudis le fantôme que tu nommes Dieu! (p. 213-215) Saint Antoine ne dit rien, il lève uniquement les yeux vers le ciel. Le Diable l’abandonne.
VII.
Le matin arrive. La tentation du suicide, derrière le visage d’une vieille: « Mais le roi Saül s’est tué! Razias, un juste, s’est tué! Sainte Pélagie d’Antioche s’est tuée! Dommine d’Alep et ses deux filles, trois autres saintes, se sont tuées; - et rappelle-toi tous les confesseurs qui courraient au-devant des bourreaux, par impatience de la mort. Afin d’en jouir plus vite, les vierges de Milet s’étranglaient avec leurs cordons. Le philosophe Hégésias, à Syracuse, la prêchait si bien qu’on désertait les lupanars pour s’aller pendre dans les champs. Les patriciens de Rome se la procurent comme débauche. » (p. 219)
La tentation du suicide: « Faire une chose qui vous égale à Dieu, pense donc! Il t’a créé, tu vas détruire son œuvre, toi, par ton courage, librement! » (p. 219)
Nouvelle tentation de nature érotique, venue de la part d’une autre femme: « Salomon recommande la joie!... » (p. 220)
Saint Antoine comprend trop bien: « Encore une fois c’était le Diable, et sous son double aspect: l’esprit de fornication et l’esprit de destruction. Aucun des deux ne m’épouvante. Je repousse le bonheur, et je me sens éternel. Ainsi la mort n’est qu’une illusion, un voile, masquant par endroits la continuité de la vie. » (p. 224)
Le dialogue du Sphinx avec la Chimère.
Le Sphinx: « La mer se retourne dans son lit, les blés se balancent sous le vent, les caravanes passent, la poussière s’envole, les cités s’écroulent; - et mon regard, que rien ne peut dévier, demeure tendu à travers les choses sur un horizon inaccessible. » (p. 226)
La Chimère: « Moi, je suis légère et joyeuse! Je découvre aux hommes des perspectives éblouissantes avec des paradis dans les nuaves et des félicités lointaines. Je leur verse à l’âme les éternelles démences, projets de bonheur, plans d’avenir, rêves de gloire, et les serments d’amour et les résolutions vertueuses. [...] Je cherche des parfums nouveaux, des fleurs plus larges, des plaisirs inéprouvés. Si j’aperçois quelque part un homme dont l’esprit repose dans la sagesse, je tombe dessus, et je l’étrangle. » (p. 226-227)
Le Sphinx: « A force de songer, je n’ai plus rien à dire. » (p. 227)
Les êtres chimériques: les astomi, les nisnas, les blemmyes, les pygmées, les sciapodes, les cynocéphales, le sadhuzag, le martichoras, le catoblepas, le basilic, le griffon, la licorne.
Les dernières paroles de saint Antoine: « O bonheur! bonheur! j’ai vu naître la vie, j’ai vu le mouvement commencer. Le sang de mes veines bat si fort qu’il va les rompre. J’ai envie de voler, de nager, d’aboyer, de beugler, de hurler. Je voudrais avoir des ailes, une carapace, une écorce, souffler de la fumée, porter une trompe, tordre mon corps, me diviser partout, être en tout, m’émaner avec les odeurs, me développer comme les plantes, couler comme l’eau, vibrer comme le son, briller comme la lumière, me blottir sur toutes les formes, pénétrer chaque atome, descendre jusqu’au fond de la matière, - être la matière! » (p. 237)
L’image finale: « Le jour enfin paraît; et comme les rideaux d’un tabernacle qu’on relève, des nuages d’or en s’enroulant à larges volutes découvrent le ciel. Tout au milieu, et dans le disque même du soleil, rayonne la face de Jésus-Christ. Antoine fait le signe de la croix et se remet en prières. » (p. 272)
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