dimanche, décembre 10, 2006

Matéi Visniec, Paparazzi ou La Chronique d’un lever de soleil avorté, (notes de lecture)


Les personnages

Paparazzo 1
La Voix du chef
L’Homme à l’étui à violoncelle
L’Homme à l’étui à saxophone
La Patronne
La Voix de l’aveugle
Le Clochard au baladeur
L’Homme à l’étui à flûte
La Femme qui veut partir en train
L’Homme qui veut partir en train
Le Caissier
Paparazzo 2
L’Etranger
La Femme aux pieds nus
L’Aveugle qui zappe
L’Homme enfermé dans le sac
L’Homme pour lequel la naissance a été une chute
La Vieille Dame à la boussole
Le Fonctionnaire de la municipalité
Le Distributeur de boissons


Abrégé du texte
Scène 1

Paparazzo 1, avec 3-4 appareils photographiques fixés chacun vers une fenêtre, est prêt à la chasse aux images. Il surveille une star, une femme riche, qui prépare une réception. Paparazzo 1 discute les détails avec son chef, qui le pousse à la recherche des scènes salaces.

Paparazzo 1 a faim. Il attend de la nourriture de son chef, qui promet d’envoyer Daniel tout de suite: « Je te l’envoie tout de suite… Tout de suite dès que je peux… si je peux… » (p. 10)

Scène 2
L’Homme à l’étui à violoncelle et l’Homme à l’étui à saxophone entrent dans un bar pour parler à la Patronne. Petite discussion concernant l’amplacement du bar. Les deux sont des tueurs, mais ils ne provoquent pas la peur de la Patronne. La sensibilité de la dernière semble complétement perdue.

A la fin de la scène, les deux tueurs décident de se barrer, parce qu’« ils sont tous fous ». Le rapport est inversé, les criminels sont « normaux », pendant que les autres, la majorité, ont perdu leurs repères.

Scène 3
Un clochard refuse l’aumône. De toute façon, personne ne passe devant lui. C’est le premier qui parle du fin du monde (« le soleil a fait une putain d’implooooosion », p. 15).

Scène 4
L’Homme à étui à flûte discute au téléphone avec l’aveugle. Celui-ci demande à celui-là de lui raconter ce qu’il voit autour de lui. Ce qui est bizarre c’est qu’il exige certains détails comme s’il était là, comme si les voyait mieux que le tueur.

Scène 5
Un couple veut acheter des billets dans une gare fermée. Le caissier leur dit qu’il n’y a plus de train.

La gare n’est plus un symbole de l’ouverture, du voyage, de l’espace, mais du contraire de tout cela: « Il n’y a plus de trains, il n’y a plus de guichets, il n’y a plus de billets, il n’y a plus de destinations… » (p. 22) C’est comme si la gare avait été emmurée.

La femme décide de quitter son mari, sans aucune explication, sans aucun motif apparent.
Le mari se résigne facilement, poliment, parce que « de toute façon, je n’ai jamais cru en rien! » (p. 22)

Scène 6
Paparazzo 2 parle à son chef dans le bar de la Patronne. Le chef n’est interessé que du côté photographique de la catastrophe en cours (dont il ignore le sens dès qu’il est impossible d’immortaliser le sens d’une catastrophe quelconque). Ce qui le préoccupe est la fête à photographier, pas l’imminence du cataclysme.

Paparazzo 2 s’entretient avec l’étranger. C’est une anti-conversation, vidée d’idées. Ce qui n’empêche l’entente parfaite des deux personnages, sous les yeux vidés de la Patronne.

Scène 7
Paparazzo parle au téléphone avec le chef. Il lui décrit la partouze qu’il est en train de photographier. A la fin il commence à calculer: « Chef, écoutez … Cette explosion cosmique dont vous parliez… Si on s’en sort… et si on publie tout ça… Mamma mia, c’est de la dynamite, ça… On décroche la timbale… » (p. 28)

Scène 8
La Femme aux pieds nus parle au téléphone avec l’aveugle.

Scène 9
L’aveugle zappe et écoute à la télé des infos et des interviews sur le phénomène cosmique en cours. Tout semble très débile, la situation est grave à hurler mais les clichés se succèdent l’air faussement intelligent.

La voix du professeur Pandolfi: « En fait, c’est très difficile de mesurer maintenant les conséquences de ce phénomène, qui a commencé à se produire d’ailleurs en chaîne dans notre galaxie à cause d’une sorte d’agent déclencheur venu d’ailleurs. […] En principe, après une implosion, il y a le risque que l’étoile respective, dans notre cas le soleil, garde sa masse mais perde sa taille, car il s’agit d’une chute de la matière sur elle-même, une sorte de rétrécissement incroyable… Une étoile qui subit l’implosion est comme un trou noir qui absorbe brusquement sa propre énergie. […] Il existe mais son diamètre se rétrécit incroyablement vite et finalement, si nos calculs s’avèrent exacts, il finira par avoir un diamètre qui ne sera pas plus grand que la ville de Paris. » (p. 32-33)

La voix du haut responsable: « Ne cédez pas à la panique… Il s’agit d’une perturbation… La municipalité vous demande d’économiser l’électricité et de ne pas céder à la panique… Nous sommes des êtres civilisés, restez enfermés chez vous… Nous sommes des humains, nous avons une conscience, économisez l’eau et l’électricité… La dignité avant tout, il ne faut pas oublier que nous sommes des êtres responsables… » (p. 33)

La voix d’un journaliste excité: « … jamais, jamais… Et c’est pour ça que je vous invite à suivre avec nous en direct la fin du monde, n’oubliez pas, toutes les informations sur notre chaîne, en direct, jusqu’au dernier moment, à suivre… la fin du monde… Monsieur le président, une question s’il vous plaît, une question… » (p. 34)

Rencontre entre l’aveugle et le clochard. Il semble se rendre compte mieux que toutes les autres personnages de l’ensemble de la situation.

Scène 10
L’homme à l’étui à violoncelle donne des coups de pieds dans un sac dans lequel se trouve le professeur Pandolfi. L’Homme pour lequel la naissance a été une chute veut raconter une histoire liée à la naissance. Il a l’air vachement intello.

La Vieille dame à la boussole a perdu le Nord: « La boussole ne montre plus rien. L’aiguille ne fait que tourner en rond. » (p. 39)

Discours du fonctionnaire de la municipalité: « La dignité! Vous êtes priés de ne pas céder à la panique et de garder votre dignité… Nous ne sommes pas des malades mentaux… Nous ne sommes pas des bêtes… Nous ne sommes pas des malades mentaux… Nous ne sommes pas des mongoliens… Nous ne sommes pas des avortons… Nous sommes des êtres humains dignes… » (p. 40) Après tant de négations, on commence à se poser la question: Sommes-nous vraiment des êtres humains?

Paparazzo 2 fait son apparition et discute avec son chef au téléphone. Photographier ou pas l’homme dans le sac. L’avis du chef: « Ça vaut une photo seulement si on le tue, quand on le tue. Mais vérifie d’abord que c’est un politique. » (p. 41)

Paparazzo 2 est journaliste avant d’être humain: « Ecoutez, monsieur. Je suis journaliste. Je n’ai pas le droit d’intervenir en quoi que ce soit. Je ne fais que de l’information. Vous comprenez? Donc, si vous êtes d’accord, je vous débâillonne deux secondes et vous me dites votre nom et votre profession. Mais rien de plus, vous comprenez? Et je vous rebâillonne ensuite parce que je n’ai pas le droit de toucher à rien. D’accord? On fait le marché? » (p. 42)

Le Professeur Pandolfi de l’Observateur de Genève est contraint a dire « mmm! » au lieu de parler. Comme si ceux qui comprennent étaient tous bâillonnés…

Scène 11
L’homme pour lequel la naissance a été une chute parle à la Femme aux pieds nus. Ils sont dans un bar. Le Garçon leur dit: « Même si le soleil ne se lève plus jamais, il faut que vous payiez l’addition. » (p. 47) Encore: « Mon patron vous demande respectueusement de d’acquitter l’addition. C’est tout. Et le soleil, on verra bien. » (p. 48) A la fin: « Je regrette, mais le patron dit que les morts doivent payer eux aussi. » (p. 49)

Scène 12
Le Clochard au baladeur discute avec le distributeur de boissons. Il est mécontent parce que son chien vient de le quitter. Le distributeur est inquiet en ce qui concerne avec « l’histoire d’implosion », il veut savoir si c’est vraiment la fin… Le clochard essaye de le consoler: « De toute façon, ça devait finir un jour ou l’autre. Pourquoi pas maintenant? » (p. 52)

Scène 13
Le chef dit au Paparazzo 1 de lui faire une photo avec le soleil: « Je veux une belle photo du soleil, tu comprends? Remonte chez toi, braque tes putains d’appareils vers l’horizon et vers le ciel. Et si ce putain de soleil se lève quand même, prends-le en photo tout de suite. Je veux quelques belles photos de ce putain de soleil, si jamais il se lève, tu piges? Si jamais il se lève, je vais tirer une édition spéciale avec un beau lever de soleil en première page. Tu piges? » (p. 54-55)

Scène 14
L’Homme au violoncelle, l’Homme au saxophone et la Fille à la flûte jouent de leurs instruments. Leur présence rassure le distributeur de boissons.


Commentaires

Paparazzo 1 et 2 sont les outils du chef. Ils manquent de nom, comme les bêches, les arrosoirs… Le chef s’en sert comme des instruments ordinaires. Par contre, si ses employés n’ont pas de nom, il manque de visage, c’est une voix, une succession d’ordres.

Chaque pièce est marquée par quelque chose, « Ou une autre façon de marquer le temps qui passe ».

Le rencontre entre les deux tueurs, à la recherche du troisième, ne fait aucune impression à la Patronne, comme si la violence était devenue chose courante, banale.

Le clochard est seul en pleine agglomération (de passants invisibles). Il vit la solitude de la foule. Il pue, il est sincère, sa puanteur est signe de vérité. Les autres sentent les grandes marques de la parfumerie française, en hypocrites.

La femme qui veut partir quelque part est prète à acheter un billet, en se procurant ainsi le simulacre du voyage (impossible, dès lors que les trains ne circulent plus). La destination (« aussi loin que possible ») est intangible, parce que dans un monde supertechnicisé rien n’est plus « loin »: « Mais je ne sais pas où se trouve, dans ce pays, le lieu aussi loin que possible. » (p. 22)

Question-clé: « Et pourquoi ça ne serait pas vrai? »
Réponse-clé: « Parce que cela ne s’est jamais passé auparavant
Selon cette logique, une explosion solaire (la fin du monde) serait hautement impossible parce que « cela ne s’est jamais passé auparavant. »

Le monde est en train de couler et la haute société fait ses partouzes.

L’aveugle et le clochard ont chacun quelque chose qui manque aux autres: l’aveugle a de la mémoire, le désir de vivre en contact avec les autres; le clochar a la foi.

L’intérêt du chef pour le lever du soleil est loin de donner de l’importance à l’événement central de la pièce (« putain de soleil »), plutôt le contraire… La chose la plus importante qui puisse arriver au monde s’insidue dans un quotidien qui est incapable de lui saisir la portée.